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Le thé chinois

 

I. La plante
II. Familles de thés
III. Conditionnement        
IV. Préparations :    
       > zhōng
       > gōngfū chá

V. Thés célèbres
VI. Liens

Véritable institution en Chine, le thé n'a pas, comme chez nous, le statut de simple boisson d'agrément. C'est, à l'instar des vins français, autant un art qu'un fleuron de la gastronomie. Plutôt que de proposer une énième page consacrée au thé (vous trouverez une liste de liens sur le thé plus bas), ce document se consacre principalement aux aspects linguistiques et lexicologiques de la question.

Le thé se boit en compagnie, dans les 茶館(馆) cháguǎn, maisons de thé, ou les 茶園(园) cháyuán, jardins de thé, chez soi, ou seul. 

 

 

 

I. La plante

Le thé est nommé 茶 chá. La boisson est l'infusion de feuilles de la plante Camellia sinensis, le théier, ou 茶樹(树) cháshù en chinois.

Les Chinois, au huitième siècle avant notre ère, nommaient indifféremment un certain nombre de plantes amères par le vocable 荼 tú (le caractère possède un trait horizontal de plus que 茶 chá ; il est formé de la clé de l'herbe, 艸 cǎo, sous sa forme réduite, 艹 et de 余 en fonction de phonogramme), au nombre desquelles l'on peut compter le thé lui-même mais aussi le jonc. La boisson obtenue par infusion, agrémentée de diverses plantes aromatiques, comme le gingembre et la ciboule, s'apparentait plus à un bouillon. La plante a été distinguée des autres plus tard, et s'est appelée 檟苦荼jiǎkǔtú (où 苦 signifie « amer »), 苦荼 kǔtú ou 荈 chuǎn.

Le mot 茗 míng en vient plus tard à désigner le thé, qui se répand de plus en plus à travers la Chine. Il faut attendre la fin du huitième siècle de notre ère pour que le mot 茶 chá  – simple réduction du caractère 荼  – s'impose et en vienne à désigner non plus le bouillon amer parfumé aux épices et herbes aromatiques mais la boisson « noble » bue nature qu'était devenue, lentement, l'infusion en question. C'est en 780 de notre ère que 唐陸(陆)羽 Táng Lùyǔ rédige le 茶經(经) Chájīng, « Classique du thé ». Son ouvrage explique quelles sont les caractéristiques de la plante, les récoltes, les types de théiers cultivés, donne des conseils de préparation et prouve qu'à son époque déjà la dégustation du thé était devenue un art, qui n'a cessé de se perfectionner.

Voici ce que nous apprend le 茶經(经) Chájīng (卷上, 一之源 ; premier chapitre : « des origines ») :

其字 : 或從草, 或從木, 或草木並.

qí zì : huò cóng cǎo, huò cóng mù, huò cǎo mù bìng.

« son caractère provient soit de celui pour “herbe” (茶 chá), soit de celui pour “arbre” (), soit de la réunion des deux () »

Notes : ces caractères sont attestées par le 文字音義 Wénzì yīnyì (736 de notre ère) pour chá, le 本草經 Běncǎojīng (Canon des remèdes, entre le premier siècle avant notre ère et le second de notre ère) pour et le 爾雅 Ěryǎ (Index des sens corrects, le plus ancien traité de lexicographie datant des Hàn, troisième siècle avant notre ère) pour 荼 .
 


其名 : 一曰茶, 二曰檟, 三曰蔎, 四曰茗, 五曰荈.
qí míng : yī yuē chá, èr yuē jiǎ, sān yuē shè, sì yuē míng, wǔ yuē chuǎn.

« Son nom : il est nommé tout d'abord chá, ensuite jiǎ, troisièmement shè, quatrièmement míng, cinquièmement chuǎn. »

Notes : 周公, le Duc de Zhou (dynastie des Zhou Occidentaux, XXe siècle avant notre ère) dit que « 檟 » jiǎdésigne le 苦荼 kǔtú ; selon 揚雄 Yángxióng (53 avant notre ère – 18 de notre ère, dynastie Hàn, auteur du 太玄經 Canon du grand mystère), « 蔎 » shè serait le nom par lequel les habitants du Sìchuān du sud-ouest désignaient le  ; enfin, selon le 郭弘農 Guōhóngnóng, les premières récoltes de thé seraient nommées chá, les récoltes suivantes míng (mot peut-être emprunté au birman), shè ou chuǎn.

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Les spécificatifs et noms de mesure à employer avec 茶 chá sont :

        – Spécificatif général : 種 / 种zhǒng

Ex. : 這(这)種(种)茶很貴(贵) zhèi zhǒng chá hěn guì, « ce type de thé vaut cher »

        – Noms de mesures :


 

« Préparer le thé » se dit 沏茶 qīchá, ou 泡茶 pàochá, « mouiller le thé ». Enfin, c'est 倒茶 dàochá que l'on utilise pour « verser le thé ». Il existe même un verbe technique, 窨 xūn, pour signifier « parfumer le thé avec des fleurs ».

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II. Les familles de thé

Les Chinois répartissent le thé en six catégories, dont les noms sont tirés de la couleur de l'infusion et non de la feuille ; cette couleur révèle le taux de fermentation des feuilles, soit, dans l'ordre croissant : 

Il faut prendre garde au point suivant : les Chinois nomment thé rouge ce que nous connaissons sous le nom de thé noir. D'autre part, le thé rouge vendu en Europe est généralement la dénomination illégale donnée à une plante différente du thé poussant en Afrique du Sud, l'Aspalathus Linearis ou rooibos, qui ne contient pas de théine et peu de tannin.

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III. Le conditionnement

À l'achat, le thé se présente sous plusieurs formes. La partie la plus noble est le dernier bourgeon, duveteux et argenté. Plus on s'en éloigne, moins le thé est fin ; de même, une feuille entière et non cassée produit un thé plus délicat, moins tannique. Certains termes décrivent la présentation des feuilles :

  1. le bourgeon duveteux : 白毛 báimáo ou 白毫 báiháo (en cantonnais baahk hòuh d'où pekoe en anglais dans les grades des thés indiens, comme F.O.P, Flowery Orange Pekoe) ; il s'agit de la dernière feuille (le bourgeon proprement dit), la plupart du temps recouverte de duvet. Dans certains cas, les trois premières feuilles, bourgeon compris, sont utilisées. Autre dénomination : 芽兒 yár.
  2. La feuille, 茶葉(叶) cháyè, peut être travaillée (enroulée dans le sens de la longueur, torsadée, en spirale, entière ou brisée). Toutes ces factures n'ont pas nécessairement un nom bien précis.
  3. La feuille enroulée en perle : 珠種(种) zhūzhǒng (cf. le 珠茶 zhūchá, connu en Occident sous le nom de Gunpowder ; ce thé, la principale exportation de thé chinoise, n'est pas destiné à être consommé nature. Il est principalement vendu aux Maghrébins pour leur préparation du thé à la menthe ou à l'absinthe).
  4. Le thé compressé : c'est un conditionnement qui permet la conservation et le transport de thés – susceptibles de ne pas souffrir des contraintes que subit la feuille –, vers des contrées difficiles d'accès (comme le Tibet). Ce sont des thés noirs pour la plupart, ou bien verts. En nid : 磚(砖)茶 tuóchá ou zhuānchá — 磚(砖) se lit tet zhuān et signifie « brique » — ; en galette : 餅(饼)bìngchá (aussi connu sous le nom 七子 qīzǐ, « sept pièces » car le thé en galette est souvent vendu par lots de sept) ; en cube : 方茶 fāngchá ; en grande brique : 米磚(砖)茶 mǐzhuānchá ( signifie « riz » car les feuilles de thé sont brisées en morceaux de la taille d'un grain de riz avant d'être agglutinés en brique) ; en boule : 摶(抟)茶 tuánchá...

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IV. Les préparations

Document externe à consulter : la page de Maître Tseng  – 曾毓慧Céng Yùhuì –, une des huit maîtres de thé dans le monde, résidant à Paris, où elle dirige la Maison des Trois Thés.

Le thé chinois se prépare de deux manières, selon sa couleur : aux thés fragiles, jaunes, blancs et verts, est réservée la préparation en 盅 zhōng, aux thés plus vigoureux (du wūlóng au thé noir) celle dite 工夫茶 gōngfū chá. Chacune possède ses particularités et les deux un point commun : le thé est toujours rincé rapidement à l'eau chaude, qui doit être pure (le mieux restant une eau de source faiblement minéralisée ou de l'eau filtrée ; l'eau du robinet, sauf rares exceptions, doit être évitée, surtout en ville), une première fois, afin de le débarrasser des impuretés et de préparer son hydratation :

  1. Préparation en 盅 zhōng

 Le 盅 zhōng est une tasse sans anse munie d'un couvercle et d'une soucoupe. Son nom serait une déformation d'un verbe 盅 chōng, « verser de l'eau, faire du thé, rincer », en référence à l'usage spécifique de cette tasse. Il semble que le terme précis pour désigner l'objet soit 蓋(盖)碗 gàiwǎn, soit « bol », 碗, « à couvercle », 蓋(盖), et que le terme 盅 zhōng désigne un autre type de tasse, plus  haute, munie d'une anse et d'un couvercle, sans soucoupe, surtout utilisée à Canton. L'importance de Canton dans le commerce du thé explique la confusion qui a mené 盅 zhōng à remplacer 蓋(盖)碗 gàiwǎn. Quoi qu'il en soit, très peu de sources s'accordent, et, le terme de 盅 zhōng semblant le plus répandu, il est préférable de l'utiliser.

L'utilisation d'un 盅 zhōng est simple : les feuilles (2g de thé) sont déposées dans la tasse, recouvertes d'eau froide (selon la fragilité du thé et la température à obtenir ; généralement un tiers de la tasse) puis d'eau chaude, qui ne doit pas dépasser, pour la majorité des thés que l'on prépare ainsi, 60 à 70° une fois mêlée à l'eau froide. En maintenant le couvercle, l'on jette rapidement cette première eau : le thé est rincé. Il suffit de recommencer l'opération mais sans jeter l'eau par la suite, le thé n'étant rincé qu'une seule fois. Le couvercle sert aussi à remuer les feuilles et refroidir l'infusion, qui peut durer plusieurs minutes, et l'on boit en l'inclinant tout en le maintenant sur la tasse, de manière à filtrer les feuilles (il est aussi possible de filtrer ainsi l'infusion et de la verser dans une autre tasse). L'on sent et l'infusion et le couvercle, sur lequel les parfums du thé se sont déposés et concentrés tandis que la vapeur condensée est retombée dans la tasse. L'on fait infuser les feuilles deux à trois fois, en jouant sur le temps d'infusion, qui est généralement plus court. La tasse se doit d'être blanche, de manière à ce que l'on puisse admirer la teinte de l'infusion.

Il serait hors de question d'infuser dans une théière un thé fragile, qui cuirait ; le thé vert ainsi cuit possède une amertume, un goût d'herbe désagréables et son âcreté, lorsqu'il est mal préparé, est aux antipodes des saveurs qu'il recèle.

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  1. Préparation 工夫茶 gōngfū chá

Il faut noter que la préparation en 工夫茶 gōngfū chá n'est pas une cérémonie mais une méthode : 工夫 gōngfū (autres orthographes : kung fu ou congou dans l'orthographe anglaise du nom de certains thés) désigne « l'art d'agir avec application », et cette préparation n'a que peu de points communs avec le 茶の湯 chanoyu – la cérémonie du thé japonaise. La notion de sacré et de communion sociale pouvant exister dans le 工夫茶gōngfu chá , mais de manière concomitante, alors que ces principes sont fondamentaux dans le 茶の湯 chanoyu, cérémonie zen (du sanskrit dhyāna, « méditation » via le chinois 禪 chán). Le 工夫茶 gōngfū chá est simplement une méthode permettant d'obtenir le meilleur du thé, de même qu'en Occident les œnologues utilisent certains verres et un vin préparé par une ventilation suffisante, à la température voulue, pour déguster les grands crus.

Le service complet, 茶具 chájù, est difficile à obtenir en Occident. Peu de boutiques en proposent. L'élément fondamental en est la théière, 茶壺(壶) cháhú, de 宜興() Yíxìng, capitale de la poterie chinoise, située dans le 江蘇(苏) Jiāngsū, faite dans une terre poreuse et riche en silice – 宜興() Yíxìng shā « terre du Yíxìng » – qui retient très bien la chaleur et se charge rapidement des parfums du thé, qu'elle conserve (on dit qu'elle se « culotte »). Chaque thé demande donc sa propre théière afin d'éviter des mélanges de mauvais alois. La théière en question existe en deux formats : la petite théière, de 20cl, sert principalement aux 烏龍(乌龙) wūlóng, la grosse théière, de 40cl, aux 紅(红)茶 hóng chá et aux 黑茶 hēi chá. Ainsi que dans la préparation en 盅 zhōng, le thé est rincé rapidement une première fois dans l'宜興()壺(壶) Yíxìnghú et la première infusion est jetée.

Le reste du 茶具 chájù se compose principalement des éléments suivants (consultez cette page japonaise pour des images du 茶具 chájù, ou bien celle-ci, en coréen) :

 Le même thé peut ainsi être infusé plus d'une dizaine de fois, l'infusion, dont le temps va varier, donnant alors des senteurs différentes. En règle générale, l'on sait que le thé est infusé quand la goutte qui perle au bec de l'宜興()壺(壶) Yíxìnghú est rentrée entièrement, ce qui reste un phénomène fascinant, le thé semblant se rétracter. Les premières infusions peuvent ne durer que quelques secondes, les dernières plus d'une heure pour certains 黑茶 hēi chá.

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V. quelques thés plus ou moins célèbres

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VI. Liens

 


Remerciements à 王崎 Qí Wáng pour son aide précieuse sur la bibliographie classique, aux membres du forum fr.lettres.langue.chinoise en règle générale ainsi qu'aux vendeurs du magasin Thé ou café ? (4 rue de la Carbonnerie, 34 000 Montpellier,  04.67.52.72.82) pour les conseils et les renseignements qu'ils ont su prodiguer de bon cœur.


 

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© Vincent Ramos, 2001  Les remarques, commentaires, corrections ou questions sont bienvenus –